lundi, septembre 24, 2007

Commentaire du jour [26] - Les dangers de la pseudo-gratuité (par Narvic)

[Commentaire du jour sur Media & Tech: quoi et pourquoi - Les autres commentaires du jour]

le billet récent sur le NYT gratuit remet sur la table toute la problématique (quasi-éternelle dans les médias...) de la fausse gratuité liée au sponsoring publicitaire. Narvic l'a résumée de manière excellente et très détaillée dans un très long commentaire à mon billet

Comme je le fais régulièrement pour ce genre de commentaires très riches et ayant demandé un gros boulot, je republie ce commentaire en tant que billet:
  • par respect pour le travail du commentateur
  • pour que ceux qui passent pas leur journée à revenir voir les commentaires des anciens billetsde Media & Tech aient l'opportunité d'en profiter.
[Note: la conséquence heureuse de la démarche , c'est que ma republication finit par transformer certains commentateurs en nouveaux blogueurs comme Nicolas. C'est cool]

Voici donc le commentaire de Narvic sur la (pseudo-)gratuité et ses conséquences:

"Vos remarques sont intéressantes, notamment votre approche selon laquelle l’abandon de l’accès payant par abonnement au fonds d’archives du NYT peut se révéler à terme - presque paradoxalement - une source de revenu réelle, en améliorant la visibilité du site sur la première page de recherches Google, ce qui pourrait permettre d’accroître ses ressources publicitaires...

Mais, s’il vous plait, cessez de dire qu’il s’agit là d’un accès "gratuit"... Il n’y a pas plus de gratuité dans ce "modèle", qu’il n’y en a dans celui des journaux papiers abusivement qualifiés de "gratuits".

Ces "modèles" sont financés par la publicité et la publicité est tout sauf gratuite ! La publicité est payante, et au bout de la chaîne qui constitue son "modèle" spécifique, ce sont les consommateurs qui la payent: les consommateurs du NYT en ligne, comme ceux d’Agoravox d’ailleurs, payent cette apparente gratuité par un surcoût (minime et donc presque invisible) sur le prix de leur pot de yaourt.

C’est d’ailleurs tout le "génie" de ce modèle de parvenir à collecter des milliards d’euros et de dollars de revenu auprès des consommateurs de manière indolore, et quasi invisible, en s’offrant "le luxe" de développer un discours totalement abusif, à la limite du mensonger, sur le thème de la gratuité.

Les conséquences de ce mode de fonctionnement sont pourtant nombreuses et importantes, et continuer à parler de "gratuité" dans ce cas contribue très largement - très opportunément ? - à les occulter.

Le "décrochage" entre l’acte d’achat (c’est à dire la lecture du NYT en ligne, ou d’Agoravox, ou de 20 Minutes sur papier, etc.) et son paiement réel (le petit surcoût sur le pot de yaourt) soumet radicalement le principe d’établissement de la valeur du bien acheté (l’information) à celui qui établit la valeur du bien auquel est attaché son paiement (le pot de yaourt). On arrive donc à ce que le prix de l’information est réellement indexé sur celui des produits de grande consommation, qui ont le plus massivement recours à la publicité.

Celui qui parviendra à vendre au meilleur prix l’information qu’il a à vendre sera donc, au bout du compte, celui qui aura vendu le plus de pots de yaourts ! La logique de ce modèle est donc bien de pousser le NYT en ligne - comme Agoravox ! - à vendre du yaourt, pour obtenir le paiement de leur propre produit, puisque ce paiement est "lié" à celui du yaourt.

Cette logique est perverse. Elle tend à effacer la valeur propre du produit que constitue l’information. Elle pousse les producteurs d’information à se plier à la logique de markéting des produits de consommation de masse, indépendamment de la logique markéting propre à leur produit.

Si elle n’est pas régulée, contrecarrée, par un contre-poids qui reste à inventer et mettre en place, cette logique économique du modèle proposé pour vendre l’information mène directement les producteurs d’information à s’orienter vers ce que l’on pourrait appeler "le markéting rédactionnel": sélectionner et hiéarchiser l’information que l’on vend à ses consommateurs, non plus en fonction de ce qui fait la valeur propre d’une information (sa crédibilité et son importance, sa véracité, sa nouveauté, ses conséquences, etc.), mais en fonction de l’audience qu’elle est susceptible d’obtenir auprès des consommateurs potentiels de yaourts, car c’est la clé pour obtenir de la publicité pour les yaourts, qui est elle-même la clé pour obtenir le paiement de l’information que l’on avait à vendre...

J’ai bien peur que celui qui a tout à tirer de ce modèle c’est le vendeur de yaourts. Le vendeur d’information en revanche a toutes les raisons de ne pas y retrouver son compte, puisqu’il perd totalement la maîtrise de la commercialisation de son bien et de l’établissement de son prix. Pire même, il se trouve contraint à soumettre cette commercialisation à une logique économique qui peut lui être contraire.

Et le consommateur final dans tout cela ? Mais qui se soucie encore du consommateur ?"

Tout y est dit. Merci Narvic !

Mais le problème reste entier et l'histoire du Net me semble malgré tout aller vers toujours plus de cette pseudo-gratuité!

Source: blog Media & Tech (par didier durand)

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellent résumé qui pose les bonnes questions. Un éditeur aujourd'hui peut se positionner comme éditeur (il a un produit ayant une valeur) ou comme intérmédiaire commercial (il met en contact un consommateur et un producteur) mais ce choix a un impact direct sur la valeur (au sens financier) de l'information qu'il publie.

Juste une remarque sur la conclusion de Didier : je ne suis pas d'accord qu'on veut aller vers une pseudo-gratuité. Je l'ai cru pendant longtemps, ça se dit, ça semble logique.

Alors qu'en fait, si tu regardes, on n'a jamais autant payer des produits intellectuels. Et l'exemple le plus lisible il est dans la musique (j'ai pas dit que c'était le plus pertinent mais c'est le plus facile à expliquer).

Du temps de mes parents, la musique était essentiellement gratuite : ils écoutaient la radio. Ils achetaient rarement un disque.
De mon temps, on achetait quelques CD singles et on les copiait sur des cassettes pour les copains.
Aujourd'hui les jeunes trouvent normal de payer plusieurs euros pour une sonnerie de mobile.

Alors tu vas me dire qu'il y a le piratage, oui, mais là aussi ça s'appelle du piratage (pas du gratuit) et c'est combatu. Donc, contrairement aux éditeurs de presse, l'industrie de la musique fait tout pour que la valeur (financière de nouveau) de son service soit reconnue et respectée.

Ne me lis pas mal : je ne veux pas dire que l'industrie de la musique mène le bon combat mais plutôt illustrer que, comme l'indique Narvic, il y a bien un choix entre monétiser directement son service ou pas. Et que ce choix n'est pas neutre.

Et que quand on fait le choix de la monétisation ce n'est certes pas facile mais, en final, les consommateurs paient parce malgré toutes les plaintes de l'industrie du disque, ils sont loin d'être sur la paille et les ventes en ligne décollent.

Didier Durand a dit…

Salut Benoît,

Très juste ta remarque sur la fausse gratuité: en te lisant, j'ai effectivement réalisé que je paie aujourd'hui (via mon fils...) beaucoup plus de musique que je n'en faisais payer à mes parents à l'époque où la radio primait encore.

Je vais y songer davantage...
a+

didier

Joi@kim a dit…

Très intéressant... Narvic doit être content c'est son deuxième commentaire transformé en billet (ou son premier ça dépend). L'autre c'était chez Emmanuel Parody.

Didier Durand a dit…

Bonjour Joiakim,

Je fais toujours ces citations avec plaisir quand les commentaires sont de qualité...

A bientôt pour 1 des tiens!
didier

Anonyme a dit…

je crois que l'intégralité des "services" apparus avec l'avènement du web repose sur ce modèle...
pour le reste, le "modèle à inventer" existe déjà en france : il s'agit du service public de l'audiovisuel (pollué il est vrai par la publicité, mais dans une moindre mesure)
je signale au passage - bien que je n'ai aucune amitié particulière pour le bonhomme - qu'arrêt sur image se targue de 15.000 abonnés pour sa reprise sur le net, selon un modèle payant donc..
http://arretsurimages.net/post/2007/09/26/Chut-Nous-avons-passe-les-15-000-abonnes

pour finir, toujours en france, un journal très indépendant perdure envers et contre toute publicité; le canard enchainé...

Didier Durand a dit…

Bonjour JulienB,

Remarques très à propos!

merci
didier