Aussi, je republie ici un article écrit pour le magazine Techniques de Presse (IFRA) de Septembre 2004. Le pdf original est ici. L'article du Journal du Net de la même époque apporte aussi les détails de la situation initiale du sujet.
Mes informations de fond sur le sujet de l'époque sont encore valables. C'est pourquoi je les republie ci-dessous pour "créer le contexte"
PS: je suis toujours utilisateur actif de LinkedIn. C'est pour moi un moyen de rester en contact avec des copains de promo et des partenaires professionnels que j'apprécie. On garde ainsi des liens même si l'un ou l'autre bouge professionnellement. Par contre, je n'utilise que (trop) peu le réseau de contact des niveaux 2 à n: les amis de mes amis de mes amis de.... Là, cependant, je rejoindrais presque l'avis de Thierry Klein.
Médias électroniques
Les amis de mes amis deviendront (en principe) mes "contacts"
(Internet Business Networking, un marché parallèle du recrutement)
Il y a cinq ans, personne ne voyait comment le « peer-to-peer » (l'échange de fichiers d'utilisateur à utilisateur) pourrait avoir un impact économique. L'industrie du disque paie aujourd'hui le prix fort pour son manque de curiosité de l'époque ! Il en sera peut-être ainsi pour l'Internet Business Networking qui a un énorme point commun avec le peer-to-peer : le formidable levier publicitaire du « bouche-à-oreille » nommé parfois « marketing viral ». Le business networking met au goût du jour le principe de l'agenda démultiplicateur : chaque personne invite ses contacts dans une gigantesque base de données pour finalement créer un réseau global. Ce nouveau type de « réseautage » connaît un succès fulgurant. La presse doit-elle sintéresser au phénomène ?
Les "Six Degrés de Séparation" vous évoquent-ils quelque chose ? Selon eux, vous n'êtes situé qu'à un maximum de cinq personnes intermédiaires de contact de tout autre être humain sur notre planète. Cette vision du "Petit Monde" (« Small World ») comme elle est appelée outre-Atlantique est née formellement en 1929 dans une nouvelle de l'écrivain hongrois Frigyes Karinthy appelée « Chains ». Dans les années 50, les chercheurs Ithiel de Sola Pool (MIT) et Manfred Kochen (IBM) ont tenté de la prouver mathématiquement mais n'y sont arrivés que partiellement. En 2001, le professeur Duncan Watts de l'université de Columbia a pu encore une fois confirmer cette théorie grâce au courrier électronique : entre 48 000 émetteurs et 19 « cibles » réparties dans 157 pays, la distance maximale fut de 6.
Cette théorie, même si elle n'en est nécessairement pas le fondement, valide certainement la pertinence de services émergents de « Business Networking » sur Internet. En effet, les 100 milliards de dollars dépensés chaque année dans les conférences, foires professionnelles, etc. selon le magazine Tradeshow Week montrent l'importance que les professionnels accordent à un « business network » de haute qualité pour faire progresser les affaires de leur société. et leur propre carrière !
Des services accessibles par Internet comme LinkedIn, Ryze, Spoke Software pourraient drastiquement modifier ces méthodes traditionnelles de développement et d'entretien de leur carnet d'adresses.
Dans le cas de LinkedIn, par exemple, il suffit de définir votre profil sur ce site et puis de commencer à lancer par courrier électronique des invitations à des membres de votre carnet d'adresses (Outlook) habituel pour qu'ils s'inscrivent également sur ce service (si ce n'est pas déjà fait!) et qu'ils « connectent » leur réseau au vôtre. Ce marketing viral sans battage médiatique intense fonctionne à plein : 97 % des utilisateurs rejoignent le service par invitation d'un autre membre (1).
L'objectif est ensuite d'obtenir par l'intermédiaire des contacts de vos contacts des chemins vers des personnes cibles pour établir un partenariat, les recruter, offrir vos services, recevoir les leurs. Un fort gain en efficacité résulte du passage par les contacts de personnes qui collaborent déjà solidement ensemble et qui, en conséquence, ont déjà gagné une excellente confiance réciproque.
Ces services savent également « savonner la planche » dans la bonne direction ! Ils proposent des outils qui vous permettront de charger automatiquement l'ensemble de votre carnet d'adresses sur leur site : les 850 000 membres de LinkedIn y ont ainsi déjà chargé plus de 35 millions dadresses (2) électroniques afin de repérer leurs contacts habituels déjà inscrits. Les résultats sont surprenants : il est déjà fréquent de retrouver plus de 10 % de ses contacts quotidiens sur ces services.
L'effet démultiplicateur des Six Degrés de Séparation joue ensuite à plein. Par exemple, dans mon cas personnel, je me retrouve après quelques semaines seulement d'utilisation active sur la base d'une trentaine de contacts de premier niveau à la tête d'un réseau de 161 000 contacts au quatrième degré dont plus de 3'700 en Suisse et plus de 600 dans mon secteur d'activités de la presse ! Pour l'anecdote, j'ai par exemple le surprenant plaisir de découvrir que Marc Andreessen, fondateur emblématique de Netscape et Vinton Cerf, un des pères historiques de l'Internet se trouvent dans mon réseau.
On comprend alors le succès fulgurant de ces sites : LinkedIn est ainsi passé de 43 000 utilisateurs inscrits en décembre 2003 à plus de 850 000 en juillet 2004. Ce succès n'est pas limité à la Silicon Valley ou même aux USA : plus de 49 % des utilisateurs inscrits (3) vivent ailleurs !
Et le business model ?
Les sites de Business Networking sont gratuits pour l'instant. Ce n'est pas par vocation philanthropique. Ils sont actuellement dans une phase initiale de concurrence pour attirer une masse critique d'utilisateurs. La plupart des opérateurs de services de business networking tablent ensuite sur une grille de rémunération du service lorsqu'il est utilisé à des fins commerciales : recherche de partenaires professionnels ou recrutement d'un profil particulier. L'effet de levier du service a un tel impact de productivité que ces frais ne seront pas un obstacle pour la majeure partie des utilisateurs.
Ces services de « réseautage » pourraient faire partie de la prochaine génération de « killer applications » de l'Internet tant recherchées par les meilleurs venture capitalists : ils y ont déjà investi plus de 70 millions de dollars ! Par exemple, la très célèbre Sequoia Capital, investisseur initial de Yahoo! et Google, est aussi l'investisseur principal de LinkedIn. Si ces emblèmes du capital-risque se penchent ainsi sur leur berceau, c'est qu'on peut leur prédire un avenir potentiel très brillant "à la EBay", le service global d'enchères sur Internet. Diverses études montrent que cette société a eu le développement le plus rapide (chiffres daffaire et profitabilité) de l'histoire des affaires!
Cette expansion explosive a reposé jusqu'à lors sur:
- l'ubiquité d'Internet qui permet à EBay d'avoir 105 millions d'utilisateurs,
- la spécificité de son service seulement possible grâce au réseau des réseaux,
- l'efficacité opérationnelle de cette société reposant sur des ordinateurs.
Les services comme LinkedIn, Spoke ou Ryze disposent initialement des trois mêmes caractéristiques. L'avenir montrera si et comment ils auront su les exploiter pour atteindre des résultats aussi brillants sur les territoires aussi vastes que ceux du recrutement et des annuaires et événements professionnels qui sont finalement ceux qui pourraient le plus souffrir de l'arrivée de cette nouvelle forme de concurrence.
Les leaders de ces activités traditionnelles doivent se préoccuper dès aujourd'hui de cette nouvelle concurrence sous peine de réveil tardif très douloureux : divers exemples publics décrivent comment à travers LinkedIn des sociétés américaines de renom ont pu trouver des candidats de haut niveau pour pourvoir des postes à forte responsabilité sans passer par un cabinet de recrutement ou la presse. Elles ont au passage économisé des dizaines de milliers de dollars. Dautres décrivent comment des partenariats industriels à succès sont nés très rapidement entre des sociétés sans relations préalables et dont les managers sont entrés en contact via ces sites.
Pour arriver à des résultats « à la Ebay », la qualité du service sera clef : il faudra gagner puis garder la confiance des utilisateurs. Le risque de tuer la poule aux oeufs d'or en voulant monnayer trop abruptement vis-à-vis de tiers les informations très privées livrées par les utilisateurs sera permanent. Par ailleurs, la méthode de la chaîne de références successives et intentionnelles lors d'un contact restera la pierre angulaire : 92 % des utilisateurs n'acceptent que les contacts par référence.
Cette méthode permet d'éviter la cacophonie générale proche du spam qui pourrait résulter dune publication trop directe sur le site du réseau de chacun. La sécurité ainsi que la protection des données et de la sphère privée sont donc des préoccupations essentielles pour ne pas dire vitales des services de « business networking » qui visent le succès durable. La clef de voûte est finalement de conserver des utilisateurs actifs à long terme. Ces services pourront alors toucher les dividendes résultant de la célèbre loi de Metcalfe. Prouvée par le passé par le fax, puis l'Internet et la messagerie électronique, elle dit que la valeur économique et l'utilité d'un réseau pour l'un de ses membres ne progressent pas de manière linéaire mais plutôt comme le carré (n exp 2) du nombre des utilisateurs connectés.
Vous n'êtes pas encore membre de l'un de ses services ? Dans ce cas, consacrez quelques heures à l'exploration de ces nouveaux services. Ils n'ont pas la convivialité des contacts noués lors des séminaires, mais ils peuvent sûrement leur donner une dimension supplémentaire.
Source: blog Media & Tech (par didier durand)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire